Il est impossible de se méprendre sur le handicap de Shams a-Din Aazem. Son torse est déformé, rigide et incliné sur un côté. Ses bras sont aussi maigres que des allumettes. Son visage est cendré. Bien que son intellect soit intact, sa façon de parler est discrète et sa voix érintée. Son visage est angoissé. Il s’assoit avec difficulté, se lève avec difficulté et se déplace avec difficulté en raison de ses handicaps physiques et de sa maigreur.
Il est difficile, presque impossible, d’imaginer qu’un soldat ose arrêter un adolescent dans son état, lui passer les mains dans le dos, le bousculer et éventuellement lui donner des coups de pied. Il est tout aussi difficile d’imaginer que ce garçon puisse jeter des pierres sur les soldats, ou sur quoi que ce soit. Il est probablement incapable de ramasser une pierre, et encore moins d’en lancer une. Mais les soldats israéliens, qui ne voient jamais les Palestiniens qu’ils rencontrent comme des êtres humains, sont également incapables d’identifier une personne handicapée. Les handicaps sont associés aux êtres humains - pas aux Palestiniens.
Il a 17 ans, et il a perdu sa mère d’un cancer du cerveau en 2017. Son père trouve des emplois occasionnels dans la région où ils vivent. Ils sont six fils et une fille dans le village de Qaryut, dans le centre de la Cisjordanie. En raison de son état, Shams est inactif depuis qu’il a quitté l’école en classe de seconde. Il n’avait que quatre ans lorsque le cancer l’a touché pour la première fois, sous la forme d’une tumeur maligne dans sa moelle épinière. Depuis lors, il a été soigné au Centre pour le cancer King Hussein à Amman, à l’hôpital universitaire national An-Najah à Naplouse et à l’hôpital Augusta Victoria à Jérusalem-Est. Aujourd’hui, 13 ans après le diagnostic de la maladie, il continue de suivre une chimiothérapie orale et doit se rendre à l’hôpital une fois par mois.
Son père a été obligé d’apporter ses médicaments aux soldats qui ont menotté son fils afin de leur prouver que Shams est atteint d’un cancer. Les soldats l’ont fait examiner par un médecin et ce n’est qu’alors qu’ils ont été convaincus de la maladie de l’adolescent. Pour leur plus grande honte, son apparence chétive et débilitante ne leur a pas suffi.
Le vendredi 1er avril, Shams et deux amis se sont rendus dans la partie sud de leur village, d’où l’on a une vue spectaculaire sur les champs de la vallée en contrebas. Qaryut est l’un des villages les plus étouffés de Cisjordanie - entouré de tous côtés par les avant-postes de colons de la vallée de Shiloh, qui étranglent le village et s’emparent des terres qui lui restent. Les dirigeants du village affirment que Qaryut a déjà perdu plus de 16km2 sur les 89km2 de terres qu’il possédait en 1967. La population du village est passée de 10 000 habitants à l’époque à seulement 3 000 aujourd’hui. Beaucoup ont émigré parce que le village était encerclé de toutes parts.
Le pillage des terres se poursuit, au milieu de luttes juridiques désespérées de la part des villageois. Actuellement, deux sources du village que les colons convoitent sont à l’ordre du jour. De violentes agressions de la part des colons sont également en cours. Il y a deux semaines, cette même rubrique a écrit sur l’incendie de cinq voitures privées dans le village voisin de Jalud. Adei Ad, Kida, Esh Kodesh, Shvut Rachel, Ahiya, Amichai et Shiloh ne sont que quelques-unes des colonies qui étouffent le village.
Il était 19 heures lorsque Shams et ses deux amis ont atteint le bord de la vallée. A ce moment-là, des affrontements étaient en cours avec l’armée et avec des colons, qui étaient venus, comme chaque vendredi, à l’une des sources du village et qui avaient chassé les habitants. Sur la colline d’en face, comme sur toutes les collines autour du village, il y a un avant-poste de colons. Celui-ci, Hayovel, a été construit sur des terres privées appartenant à des résidents de Qaryut. Hayovel a d’ailleurs été le premier avant-poste dont l’établissement sur des terres palestiniennes privées a été déclaré propriété de l’État, en 1998.
Alors que les trois amis se tenaient là, un colon a soudainement surgi d’entre les oliviers de la pente et a tenté de les agresser. Un instant plus tard, un autre colon est apparu du côté opposé. Les deux amis de Shams ont pu échapper à l’embuscade, mais Shams n’avait aucun moyen de se mettre à l’abri dans son état physique. Le fait qu’il y ait eu des affrontements ce jour-là a déjà été signalé - cette semaine, nous avons trouvé les restes d’un pneu brûlé sur le site. "Pourquoi lancez-vous des pierres ?" a crié le colon qui a attrapé Shams. "Je n’ai pas jeté de pierres", a répondu Shams.
En un rien de temps, il y avait six ou sept colons autour de lui. Il dit qu’ils l’ont aussi frappé. Puis l’armée est arrivée et les colons ont remis leur butin aux soldats - la pratique habituelle dans ce genre d’incidents, où l’armée protège les pogromistes.
Les soldats ont forcé Shams à se mettre à genoux et l’ont menotté par derrière. Ils ont également discuté de l’opportunité de lui bander les yeux, mais ils ont décidé d’y renoncer dans leur grande clémence. Shams a reçu l’ordre de parler au téléphone avec un agent du service de sécurité Shin Bet, qui lui a également demandé pourquoi il avait jeté des pierres. L’agent l’a également interrogé sur ses amis ; il lui a dit qu’ils avaient fui. "Tu mens !" a crié le soldat qui le gardait, raconte Shams. Shams ajoute que le soldat l’a également bousculé et lui a donné des coups de pied.
Entre-temps, son père, Amin, 50 ans, était arrivé sur les lieux avec deux des frères de Shams. Ils avaient vu de loin que Shams était agenouillé sur le sol, les mains liées derrière le dos. Les soldats ont pointé leurs fusils sur Amin et ont essayé de le faire fuir. "Pourquoi avez-vous pris mon fils ?" leur a-t-il demandé. Un soldat a répondu : "Parce qu’il a jeté des pierres." "Vous êtes sûr ? Comment pourrait-il jeter des pierres ?" a dit Amin. Il a essayé d’expliquer aux soldats que son fils était atteint d’un cancer - ils ont exigé des preuves.
N’ayant pas le choix, les deux frères et le père se sont rendus chez eux, à une distance d’environ deux kilomètres, et ont rapporté un paquet de Celltop 50, le médicament de chimio que Shams prend actuellement. Faute de formation oncologique suffisante, les soldats ont appelé une ambulance de l’armée. Le médecin ou l’ambulancier qui a examiné Shams et le médicament a confirmé que Celltop était bien un médicament oncologique.
Entre-temps, quelques dizaines de villageois et de parents de la région s’étaient rassemblés sur le site. Bashar al-Qaryuti, un habitant qui mène la bataille du village pour protéger ses terres et dirige la section locale du Croissant-Rouge, qui couvre 14 villages, a également été appelé sur les lieux. Il a immédiatement contacté l’administration de Coordination et de Liaison pour leur expliquer que Shams est atteint d’un cancer. "Vous avez arrêté un garçon malade", a-t-il dit au téléphone, et un représentant de l’administration civile israélienne lui a répondu : "Il a jeté des pierres. Nous savons qu’il a un cancer et nous allons le libérer, mais il faut d’abord lui expliquer qu’il ne doit plus jeter de pierres." Al-Qaryuti possède les enregistrements des messages vocaux qu’il a échangés avec l’administration civile sur son téléphone.
Al-Qaryuti a demandé que Shams soit libéré de ses menottes, mais les soldats ont dit qu’ils ne le feraient que si les parents et les villageois qui étaient venus sur le site pour protester se dispersaient. En attendant, jusqu’à ce que la foule émue se retire, Shams a été placé dans une jeep militaire et emmené. "Nous avons décidé de le placer en détention", a déclaré un soldat au père désemparé. Shams dit avoir été menotté pendant environ deux heures. Il a été emmené dans une installation militaire locale - il ne sait pas où. Là aussi, il a dû se mettre à genoux et attendre pendant des heures.
L’unité du porte-parole de l’armée de défense israélienne a déclaré cette semaine en réponse à une question de Haaretz : "Le vendredi 1er avril, il a été signalé qu’une foule de dizaines de colons et de centaines de Palestiniens s’agitait autour de la source de Qaryut, qui se trouve dans la zone de la brigade territoriale de Binyamin. Les forces de sécurité se sont précipitées sur le site afin d’empêcher les frictions. Les Palestiniens présents sur le site ont placé des pierres sur le sol comme barrières, brûlé des pneus et jeté des pierres sur les forces de sécurité, qui ont utilisé des moyens de dispersion de la foule.
"Pendant l’événement, des frictions verbales se sont développées entre les Palestiniens et les colons. Les forces d’occupation ont arrêté le suspect, car il a été soupçonné d’avoir jeté des pierres. Au vu de son état, une équipe militaire médicale a effectué un contrôle et a veillé à lui fournir les médicaments nécessaires. Le détenu a été transféré dans les unités palestiniennes quelques heures plus tard."
À minuit, environ cinq heures après avoir été détenu, Shams a été libéré. Il a été conduit au poste de contrôle de Hawara, près de Naplouse, et remis au personnel de l’administration palestinienne de Coordination et de Liaison. Ils l’ont emmené à Naplouse pour un bref interrogatoire avant de le relâcher. Il est rentré chez lui à 1h30 du matin, épuisé et effrayé.
Avait-il peur ?
Shams dit qu’il n’a pas eu peur, mais son père intervient rapidement : "Il ment. Bien sûr qu’il avait peur. Comment pourrait-il ne pas avoir eu peur ? Des soldats tout autour et il n’aurait pas eu peur ?"
Traduction : AFPS